mardi 11 avril 2017

Prendre soin d'un humain déprimé






Ma chère Mugen,


Te voilà partie à ton stage d'agility, et je sais que tu te souciais beaucoup de priver notre humaine de son compagnon auquel elle est si attachée. Aussi, je t'envoie ces quelques mots, qui je l'espère te rassureront.

Tout d'abord, une bonne nouvelle concernant notre principal sujet d'inquiétude : elle est autonome pour s'alimenter et s'abreuver. De façon bien rudimentaire, toutefois ; il semblerait que la séparation d'avec son congénère l'ait fait régresser jusqu'à la petite enfance. Elle n'emploie depuis son départ que des ustensiles très simples, tasses et bols munis de larges anses, et cuillères. Le régime choisi, bien qu'extrêmement monotone (mélanges de graines, fruits et lait d'amande) me semble couvrir à peu près les besoins nutritionnels de l'espèce, aussi je préfère ne pas intervenir.

D'autres chiens m'ayant rapporté des observations identiques sur des humains en situation d'isolement social, je m'interroge : perdraient-ils de leur motricité fine ou de leur acuité mentale lorsqu'ils se retrouvent seuls ? Cela expliquerait ce phénomène régressif ; il est vrai que les humains, contre toute logique, compliquent et raffinent leur alimentation à mesure que leur nombre augmente.



Clairement déprimée, elle exprime beaucoup moins de comportements moteurs qu'à l'accoutumé. Elle passe de longues heures presque sans bouger, à utiliser les jouets d'excitation, principalement les ordinateurs, qu'elle n'apprécie que modérément d'habitude. Toutefois, le lien affectif est maintenu avec ses bestioles. Elle entretient l'habitat des Sauteurs et les manipule. Elle est visiblement fascinée par les nouveaux, les Creuseurs. Je me tâte à lui ramener un modèle de bestiole encore différent : apparemment, il en existe qui volent ! Je suis certain que ça pourrait la stimuler de façon saine.



Nous rencontrons toutefois un vrai problème, et ce n'est pas la première fois que je te fais la remarque, Mugen : tu l'as tellement assistée dans l'entretien des litières des chats qu'elle n'est plus capable de s'en occuper correctement seule ! Je me suis pris un sacré savon par Max, furieux de son laxisme : "voilà ce qui se passe quand on ne sait pas tenir le petit personnel de maison ! Avec les humains il faut tout de suite montrer qui est le patron ! Faudra pas s'étonner ensuite de se faire virer des canapés", et ainsi de suite, sur un air que tu connais. Mugen, il faut que tu arrêtes de nettoyer les litières à sa place. Je sais, ces théories félines arriérées te révoltent. Nous savons toi et moi que donner un coup de main à nos humains ne les rendra pas capricieux et ingrats pour autant (et puis, les crottes de chat ont souvent bon goût, je l'admets). Mais nous partageons ce monde avec les chats, qui ont encore du mal à intégrer les dernières données scientifiques concernant la cognition humaine. Alors, prends ton mal en patience : un jour, les humains seront respectés aux même titre que les animaux. En attendant, bride la fougue de ta jeunesse, et accepte que les chats traitent nos compagnons avec moins d'empathie.



Pour tirer l'humaine de sa déprime, je suis parvenu, après de longues et compliquées négociations, à faire admettre à Metis que nous devions sortir l'artillerie lourde : la douche avec shampooing, têtes de Little Petshops et sieste-séchage au soleil. Partager la vie d'un humain n'est pas toujours aussi cool qu'une balade dans un champ de fumier : il faut parfois s'investir beaucoup, donner de son temps et de son énergie pour des activités qui ne nous passionnent pas, mais qui lui plaisent à lui. Et puis, après tout, c'est toujours un plaisir de voir son humain joyeux et de l'entendre gazouiller, gazouiller, gazouiller... et même rire aux éclats ! C'est ainsi que la complicité se construit.








Quoi qu'il en soit, ce plan a fonctionné à merveille : reboostée par cette activité plaisante et pour laquelle elle s'est sentie compétente (c'est peut-être du caninomorphisme, mais j'ai vraiment le sentiment qu'ils adorent se sentir compétents et que ça les motive beaucoup), l'humaine a abandonné les jouets d'excitation ! Ce soir, dès son retour du travail, ce sera grande balade au crépuscule ! J'ai hâte d'y être.







J'espère que tu profites bien de ton côté. Prends soin de notre humain. Il est très stable et facile, mais n'en abuse pas : ne le mets pas d'emblée en difficulté, augmente graduellement la complexité des exercices. Je sais que tu as une imagination débordante quand il s'agit de challenger nos humains. J'ai beaucoup repensé à ton projet de cours canin "Booster la réactivité de votre humain" : initiative pleine de sens et qui pourrait aider de nombreux chiens à affûter les capacités sensorielles et motrices de leurs compagnons, jusqu'au plus haut niveau. Tu devrais profiter de ce stage pour en discuter avec Lindt et Jalna, elles aussi très intéressées par ces questions. Quel dommage qu'Okami n'ait pas pu venir : elle bénéficie d'une véritable expertise en la matière, depuis de nombreuses années.

Porte-toi bien,

Fast
Educateur humain.